L’année sportive 2022 promet d’être spectaculaire, autant sur les terrains de jeu qu’en dehors. Plusieurs méga-événements sportifs seront organisés, notamment les Jeux olympiques d’hiver et la Coupe du monde de la FIFA, qui se dérouleront respectivement en Chine et au Qatar.
En plus de ces événements se dérouleront également les compétitions annuelles, entre grands matchs, ligues nationales, championnats et tournois internationaux. En janvier déjà, le rallye Paris-Dakar est en cours en Arabie saoudite et la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun. En mars, la Ligue des Champions de l’UEFA reprend et en avril, le championnat du monde de Formule 1 redémarre.
Pourtant, le contexte dans lequel chacun de ces événements va se tenir est en train de changer, et ce depuis trois décennies. Le monde du sport, comme le monde en général, est très différent de ce qu’il était au XXᵉ siècle.
En 1999, la majorité des courses de Formule 1 se déroulaient en Europe ; en 2022, les Grands Prix européens seront en minorité, des pays comme l’Azerbaïdjan ayant commencé à accueillir des courses. De même, l’Arabie saoudite est devenue la patrie du rallye Paris-Dakar, résultat de l’engagement politique du gouvernement de Riyad en faveur d’investissements à grande échelle dans le sport.
Diplomatie des stades
La Ligue des Champions de l’UEFA sera à nouveau parrainée par la société publique russe d’énergie Gazprom, comme c’est le cas depuis près de dix ans. Gazprom ne vend rien directement aux consommateurs, mais conclut des accords pour vendre du gaz aux pays. Ces derniers mois, alors que les prix de l’énergie en Europe ont considérablement augmenté, des inquiétudes ont été exprimées quant au fait que Gazprom contrôle les approvisionnements énergétiques à des fins politiques. Certains critiques, comme l’ancien président américain Donald Trump, ont même fustigé des pays comme l’Allemagne pour leur dépendance au gaz russe.
Au Cameroun, les quatre stades utilisés pendant la Coupe d’Afrique des Nations ont été construits par la Chine, illustration de la « diplomatie des stades » mise en place par l’Empire du Milieu. Ces stades ont été offerts au Cameroun par Pékin ou ont été financés par des prêts à taux réduit (c’est-à-dire des prêts accordés à des taux inférieurs à ceux du marché). La raison en est que le pays africain possède des ressources naturelles dont la Chine a besoin pour assurer sa subsistance et sa croissance économique continue.
Très intéressant article revenant sur la "diplomatie des stades" développée par #Pékin, lui permettant d'étendre son influence en #Afrique. Rappelons que cet axe de diplomatie sportive remonte à la fin des années 1960. cc @CarolineRoussy1 https://t.co/vjogdPHZzp via @lemondefr
— Carole GOMEZ (@carole_gomez) April 26, 2021
L’organisation des Jeux olympiques d’hiver par la Chine est également importante, car elle a lieu dans un contexte de relations de plus en plus tendues avec l’Occident. Cette situation est due, par exemple, à des préoccupations concernant la minorité ouïghoure du Xinjiang, ainsi qu’à la façon dont la Chine a traité des questions telles que la mystérieuse disparition de la joueuse de tennis Peng Shuai. En effet, en réponse à cette dernière, la Women’s Tennis Association, basée en Floride, s’est retirée de Chine, ce qui a mis certains sponsors et athlètes dans une position délicate.
Le gouvernement de Pékin ne semble pas être particulièrement perturbé par ces préoccupations. Il s’agit plutôt pour la Chine d’affirmer sa crédibilité en tant qu’hôte de l’événement, en tant que membre important de l’industrie mondiale du sport et en tant que force économique et politique de plus en plus puissante.
Le Qatar tient à adopter un ton plus conciliant avec le monde dans ses préparatifs en vue de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, bien que l’importance du tournoi pour le pays ne soit pas moindre que celle des Jeux olympiques d’hiver pour la Chine. Le plus grand événement de football a servi de base à la construction d’une nation, à l’établissement d’une image de marque et à la projection d’une puissance douce, le petit État du Golfe cherchant à redorer son image et sa réputation dans le monde.
Cela n’a pas été simple, car le Qatar fait toujours l’objet d’un examen minutieux de la part de l’Occident, qui s’inquiète des problèmes liés au marché du travail, à l’égalité et au traitement des groupes minoritaires.
👊 Ce matin, nous avons déployé une immense bâche devant le siège de la Fédération Française de Football à Paris.
Depuis des mois, nous essayons de l’alerter sur l'exploitation des travailleurs migrants au Qatar.@FFF : et maintenant, vous nous entendez ?https://t.co/Seim15OPDh
— Amnesty International France (@amnestyfrance) December 15, 2021
L’organisation par le Qatar de l’événement phare de la FIFA revêt une dimension géographique évidente, car cette toute petite nation cherche à asseoir sa légitimité et à se protéger dans une région sujette aux conflits. De même, le rôle de plus en plus important de Gazprom en tant que sponsor du sport reflète l’avantage géographique de la Russie, qui dispose d’énormes réserves de ressources naturelles.
Outre la géographie, la politique joue également un rôle au XXIe siècle, notamment par le biais du rôle accru que jouent les gouvernements et les États. Par exemple, l’Arabie saoudite dépense des milliards de dollars dans le sport, ce que le gouvernement de Riyad considère comme un moyen de promouvoir un programme de réformes nationales tout en donnant une image plus progressiste au reste du monde.
Une économie géopolitique du sport
Sur le plan économique, de nombreux pays considèrent désormais le sport comme un secteur industriel important, capable d’accroître le revenu national, de contribuer à la création d’emplois, de générer des recettes d’exportation et des impôts. Le gouvernement chinois cherche à mettre en place la plus grande économie sportive nationale du monde d’ici 2025, d’une valeur de 750 milliards de dollars. Par ailleurs, Israël veut s’imposer comme un centre mondial de la technologie sportive, tout comme la Corée du Sud veut faire de même dans l’industrie de l’e-sport.
La façon dont la géographie, la politique et l’économie interagissent les unes avec les autres rend nécessaire une nouvelle façon de concevoir le sport, que l’on peut appeler l’économie géopolitique du sport. Après trois décennies de profonds changements, dont la mondialisation et la numérisation, le sport n’est plus seulement une question de compétition sur le terrain de jeu.
Ces changements sont le résultat de l’évolution du pouvoir économique et politique mondial, les nations asiatiques, en particulier, exerçant désormais une influence croissante sur le sport. Dans le même temps, des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France comprennent que le sport peut apporter des avantages considérables à un pays, comme la projection d’un « soft power » (puissance douce) et la mise en place de relations commerciales plus fortes.
L’économie géopolitique du sport soulève toutefois des problèmes majeurs. Par exemple, alors que le Qatar croit être engagé dans la construction d’une nation, les critiques soulignent les problèmes permanents du pays avec son système de kafala. Dans le cas de l’Arabie saoudite, qui cherche à devenir un important hôte d’événements sportifs mondiaux, beaucoup accusent le pays de blanchir son image et sa réputation par le biais du « sport washing ».
Ainsi, lorsque les fans se préparent cette année à profiter de certains de leurs événements et compétitions préférés, il est bon de se rappeler que le sport reste un jeu important. Même si, de nos jours, il se joue de plus en plus en termes géographiques, politiques et économiques.
Simon Chadwick, Global Professor of Eurasian Sport | Director of Eurasian Sport, EM Lyon
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.